Prises dans les turbulences inflationnistes, les filières bio font face à des consommateurs, des acteurs économiques et des élus qui ont perdu leurs boussoles. Cochant toutes les cases des défis socio-environnementaux actuels, elles cherchent des solutions pour passer un cap difficile.
« Alors que l’État n’hésite pas à dégainer des centaines de millions d’euros pour soutenir l’agriculture conventionnelle en crise, il rechigne à aider la bio, locomotive depuis trente ans des pratiques respectueuses de l’environnement, biodiversité, qualité de l’eau, décarbonation, etc. », entend-on sur le stand de l’Agence Bio. Malgré l’enveloppe de 10 millions d’euros d’aides du gouvernement aux filières bio en difficultés, annoncée mercredi 1er mars, estimée bien en deçà des besoins, tous les opérateurs bio présents ici au salon, sur le stand de l’Agence Bio, sont écœurés par l’image qu’on leur renvoie et surtout par le manque de soutien, même en paroles, de l’État. « Dans tous les discours officiels sur cette transition écologique indispensable, sur l’agroécologie, la bio est oubliée, voire dénigrée, alors que cela ne coûte pas cher de la mettre en avant, pour ce qu’elle est, moteur du changement, pour renforcer la confiance des consommateurs », dénonce-t-on en substance. Et pas seulement du côté de la Fnab, fédération des agriculteurs bio très remontée, mais aussi de l’APCA, et de ses acteurs bio engagés, du Synabio, syndicat des transformateurs, de l’Agence Bio, ou de la Coopération agricole.
Mobilisation de tous indispensable
À l’unisson, toutes les familles agricoles et agroalimentaires, acteurs de ce mode de production, motivés par une démarche environnementale poussée, efficace, contrôlée, certifiée, et un label reconnu, se mobilisent. « Nous sommes allés voir le ministère de l’Agriculture ensemble », précisent-elles. Il faut dire qu’il y a urgence, face aux dégâts, aux attaques opérées en routine par les filières conventionnelles, ou standards, « les premières qui refusaient d’opposer les agricultures, et qui n’hésitent pas à enfoncer la bio, sans complexe, à grand renfort d’arguments erronés ». Pourtant, dans un monde agricole où le nombre de fermes est en chute libre, celles en bio augmentent encore pour atteindre près de 60 000, soit près de 15 % des exploitations, et les surfaces couvrent plus de 10 % des terres cultivées agricoles. « Les filières se sont construites, elles ont investi, les techniques s’améliorent, la juste rémunération des agriculteurs est prise en compte, les produits répondent aux défis de qualité et environnementaux, ils sont distribués partout », résume Didier Perréol, président du Synabio, et vice-président de l’Agence Bio. Mais le marché décroche. Pourquoi ?
20e baromètre : crise de confiance amplifiée
Les raisons sont multiples : le différentiel de prix est évoqué, surtout sur certains produits comme le porc. Même si la bio est plus résiliente, le bond des coûts de production reste douloureux si l’autonomie n’est pas suffisante. « En vente directe, les produits sont plutôt très abordables pour tous, mais en grande distribution, spécialisée ou non, il y a de tout, car les marges peuvent être abusives, et le prix dissuasif, même pour des convaincus », reconnaît-on. Dans le contexte actuel, les consommateurs sont plus regardants. Pourtant, le 20e baromètre de l’Agence Bio tout juste dévoilé jeudi 2 mars montre que l’argument prix, premier frein déclaré à la consommation de bio, reste stable en 2022. En revanche, la réalité du bio, second point mis en avant, régresse, ainsi que son intérêt. « Cette défiance se nourrit d’un manque d’informations », analyse l’Agence Bio. Cela concerne 52 % des répondants sur l’origine des produits bio, et 66 % sur le contrôle et la réglementation. « Cela accentue le doute sur le fait que ces produits, bien que labellisés bio, ne soient pas totalement bio », analyse l’Agence Bio. La filière bio se serait-elle endormie sur ses lauriers ?
10 M€ : une aide trop faible pour les filières
Depuis le début du Sia, l’Agence Bio met en avant sa campagne Bio Réflexe, et incite les régions à la décliner rapidement sur leurs territoires. L’Occitanie donne l’exemple en la lançant durant le salon sur son stand régional. L’objectif est de créer un effet de masse. « Les Français sont à 6 % de leur consommation en bio, les marges de progrès sont énormes, à l’instar des Danois, qui consomment 14 % de bio ou encore les Autrichiens, passés à 11 % », rappelle Laure Verdeau, sa directrice. Venu échanger mercredi 1er mars avec les élus bio sur le stand, le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau, a confirmé une enveloppe additionnelle, déjà annoncée, de 750 000 euros pour la communication. Il a aussi attesté le déblocage d’une aide d’urgence aux exploitations bio de secteurs en difficulté. Ces 10 millions d’euros sont évalués très inférieurs aux besoins. « Vu l’ampleur de la crise en bio, pour les seules filières porcs, lait et fruits et légumes, nous avons besoin de 150 millions d’euros. Les budgets initialement prévus pour la conversion des fermes ne seront que très partiellement mobilisés : il faut les rediriger vers le soutien aux fermes si on veut qu’elles se maintiennent en bio. », estime Mathieu Lancry, président de Forebio.
Christine Rivry