3/02/2022. Communiqué conjoint de la Confédération Paysanne, la Fédération Nationale d’Agriculture Biologique, France Nature Environnement, Réseau Action Climat et UFC-Que Choisir.
Les conclusions du Varenne Agricole de l’Eau et du Changement climatique, rendues ce 1er février, sont à l’image de l’ensemble de cette concertation : une remise en cause du cadre des Assises de l’eau de 2019 et un recul politique en matière de politique de l’Eau et d’adaptation. Ce Varenne est passé à côté de nombreux enjeux, et soulève des inquiétudes sur la déstabilisation, sous prétexte de “l’accélérer” et de “l’enrichir”, du cadre réglementaire de discussion sur la gestion quantitative de l’Eau. Et pourtant, au lieu de chercher à tout prix la mauvaise adaptation d’un modèle dépassé à des contraintes climatiques nouvelles, des solutions réellement durables sont possibles
Assurance privées et multiplication des stockages : des dispositifs inadaptés
La Confédération Paysanne dénonce les mesures assurantielles : ”En supprimant le dispositif existant des « calamités agricoles » pour le remplacer par l’assurance récolte, le gouvernement exclut les paysannes et les paysans qui, faute de trésorerie, n’ont pas tous les moyens de souscrire à une assurance récolte. Mais il exclut aussi des productions essentielles, comme le maraîchage diversifié ou l’apiculture, qui ne sont pas assurables alors qu’elles sont en première ligne face au changement climatique. Cette réforme fait peser un risque sur la nécessaire transition agro-écologique. Elle prélève en effet une partie substantielle du budget du 2e pilier de la Politique Agricole Commune au profit des assurances, alors que cet argent aurait pu bénéficier aux mesures agro-environnementales ou encore à l’agriculture biologique”.
Le Réseau Action Climat pointe les risques de maladaptation : “développer le stockage et l’irrigation comme solution majeure d’adaptation au changement climatique est une rustine sur un système agricole trop consommateur d’eau. Cela crée un faux sentiment de sécurité et un cercle vicieux de dépendance à l’eau pour les filières. Les économies d’eau et les liens entre préservation de la quantité et de la qualité de l’eau sont les grands absents du Varenne. Pourtant, les Assises de l’Eau ont fixé des objectifs précis de réduction des prélèvements d’eau (10 % en 5 ans d’ici 2025 et de 25 % en 15 ans d’ici 2035). Cette sobriété ne pourra être atteinte qu’en soutenant massivement une transition vers l’agroécologie, notamment l’agriculture biologique : c’est justement ce que Monsieur Denormandie a raté dans la définition du Plan stratégique national présenté le 1er janvier dernier à la Commission européenne.”
Une absence de mesures concrètes en faveur de la transition écologique
Au contraire, les annonces issues du Varenne misent sur le stockage hivernal et des solutions “d’économies” d’eau d’ordre purement technologiques (numérique, robotique, génétique), La Fédération Nationale d’Agriculture Biologique liste ainsi plusieurs angles morts de cette concertation :
-L’absence de remise en question du modèle de développement agricole : il convient, avant de miser sur les solutions technologiques et le stockage hivernal d’eau, d’adapter les pratiques agricoles aux différents effets du réchauffement climatique et de questionner l’usage des productions. Le modèle agricole doit s’adapter aux volumes prélevables, et non l’inverse.
-L’absence de questionnement sur le partage de l’eau : à l’heure actuelle, l’accès à l’eau reste difficile pour certaines productions et pour les jeunes agriculteurs et agricultrices. Les Projets de Territoire pour la Gestion de l’Eau (PTGE) n’ont pour l’instant pas permis de régler ces questions, aussi il convient avant de les accélérer, d’en faire des outils véritablement inclusifs et opérationnels sur les questions de partage de l’eau.
-L’absence de considération et de moyens pour les pratiques agricoles participant déjà à l’adaptation au changement climatique : bien que la littérature scientifique montre que les systèmes d’agriculture biologique et paysanne présentent une meilleure adaptation et résistance aux situations de stress hydrique ainsi qu’un impact moindre sur la ressource en eau, aucune mention n’en a été faite durant les conclusions du Varenne.
Détricotage de réglementations récemment édictées : une porte ouverte pour de nouvelles régressions réitérées par le lobby de l’irrigation
Pour France Nature Environnement, Le Varenne, au lieu de décliner, vient au contraire fragiliser les Assises de l’Eau de 2019 et les équilibres issus de leur feuille de route. Il ne répond pas non plus à l’avis dédié voté par le Comité National de l’Eau, organisme chargé officiellement du suivi desdites Assises, avec de nombreuses recommandations (http://www.cne.developpement-durable.gouv.fr/avis-relatif-au-varenne-agricole-de-l-eau-et-du-a1210.html). L’accélération, voire une mise sous tutelle préfectorale, de la concertation autour des PTGE, risque juste de les fragiliser encore plus. La durée des PTGE s’explique souvent par l’absence de données précises sur les prélèvements ou les stockages déjà existants. Vouloir brusquer l’accord collectif, ou pire, décider sans avoir un diagnostic complet, c’est reprendre la voie du passage en force que nous avons connu à Sivens… Enfin le Varenne a annoncé vouloir remettre en cause des textes réglementaires tout juste adoptés, dont le décret du 23 juin 2021 relatif à la gestion quantitative de la ressource en eau. « Ce dernier a pourtant fait l’objet d’une concertation de plus de 18 mois au sein du CNE, avec une forte participation des représentants irrigants de la profession agricole. Alors que la gestion quantitative de l’eau a besoin de stabilité et d’appropriation, cette annonce est inacceptable » souligne Florence Denier-Pasquier de FNE.
Le principe pollueur-préleveur-payeur oublié !
Parmi les annonces du Gouvernement figurent des soutiens financiers issus du plan France Relance à hauteur de 100 millions d’euros, entre autres pour des retenues d’eau destinées à l’irrigation. L’UFC-Que Choisir dénonce le recours à ces fausses solutions qui concrètement aboutissent à privatiser l’usage d’un bien commun et qui entraîneront une coûteuse gabegie payée par le contribuable au bénéfice d’un très petit nombre d’agriculteurs, pérennisant des modes de production agricoles polluants, gourmands en eau et inadaptés au changement climatique, tels que l’irrigation des grandes cultures en plein cœur de l’été. S’appuyant sur les recommandations des Assises de l’eau de 2019 et du récent rapport de la Cour des Comptes Européennes, l’Association exige l’application du principe pollueur-préleveur-payeur, inscrit dans la loi mais pas une seule fois mentionné par les ministres.
Les Assises de l’Eau ont permis de construire un cadre équilibré et structurant pour préserver la ressource en Eau et adapter réellement notre modèle agricole aux dérèglements climatiques. Ensemble, organisations professionnelles agricoles, associations de protection de l’environnement, de consommateurs, acteurs de l’eau, autorités, revenons-y.